Mémoires individuelles, collectives et vulnérabilités dans une approche parcours de vie
Dans le cadre de l’étude de parcours de vie et des vulnérabilités, le CIGEV est intéressé aussi à l’intersection entre les vies individuelles et le devenir historique des sociétés. L’idée est que l’on peut identifier diverses formes de trajectoires marquées pour des moments de vulnérabilité individuelle, mais aussi des moments de vulnérabilité collective à travers l’histoire.
Quels sont-ils les liens entre biographie et expérience collective? Quels sont les principaux moments et facteurs de vulnérabilité mentionnés par les individus dans différents pays et cultures?
Le CIGEV se penche sur ces sujets à partir de deux projets de thèse qui font suite à la recherche CEVI. Ces travaux portent sur des pays extra-européens et contribuent à élargir l’étude des parcours de vie dans des contextes culturels diversifiés.
Parcours de vie et mémoire à Mumbai (Inde)
Ce projet s'appuie sur le questionnaire développé dans le programme CEVI et se focalise sur la perception des parcours de vie et de l'histoire, vécus par des individus résidant à Mumbai, en Inde. Une première récolte de données a eu lieu en 2012 dans les bidonvilles de Bandra East, avec le soutien de l'ONG Centre for the Study of Social Change. Dans une perspective comparative, une seconde récolte de données a eu lieu de février à avril 2014, dans le quartier formel de Santa Cruz East.
Récolte de données à Bandra East (Mumbai, Inde), mars – juin 2012
Avec le soutien de l'ONG Centre for the Study of Social Change et l'aide d'Anouk Piraud (voir son mémoire de stage), alors stagiaire au CIGEV et encadrée par Aude Martenot et Michel Oris, 633 questionnaires ont été remplis par des habitants des bidonvilles de Bandra East, âgés de 20 à 84 ans. La population vivant dans les slums à Mumbai est fortement caractérisée par un bas niveau de revenu et de formation, un cadre professionnel essentiellement situé dans l'économie informelle (sans protection sociale ni sécurité de l'emploi) et un logement privé de l'équipement de base (eau, électricité, sanitaires, etc.).
Dans un tel contexte, comment est perçu le déroulement des vies et de l'histoire? Des constats liminaires ont déjà pu être établis:
- La famille (mariages et naissances) sont des éléments cruciaux dans la vie des Indiens, quelque soit le sexe, la religion ou l'âge de la personne.
- Les événements de santé sont particulièrement marquants et impactent la vie de ces individus, pour qui la capacité physique de travailler est déterminante sur le revenu journalier.
- Les événements socio-historiques tels que les pogroms entre Hindous et Musulmans et les attentats terroristes sont présents dans les souvenirs de manière similaire entre les individus (sans grande différence entre les classes d'âge, les sexes ou la confession religieuse). Toutefois, l'événement qui a rassemblé les mémoires reste l'inondation de 2005 qui a détruit des biens matériels et rendus les habitations inaccessibles durant plusieurs jours.
Récolte de données à Santa Cruz East (Mumbai, Inde), février – avril 2014
De février à avril 2014, une récolte de donnée a été organisée et supervisée par Aude Martenot et Michel Oris dans le quartier de Santa Cruz East à Mumbai. Durant ces deux mois et demi de terrain, avec l'aide d'un collaborateur sur place engagé à mi-temps, 15 enquêteurs ont été recrutés et chargés de passer les questionnaires. Ils ont ainsi interrogé 600 personnes, âgées entre 18 et 86 ans, dans la rue mais également dans divers immeubles de la zone choisie. Afin de respecter le mode de passation appliqué lors de la précédente récolte de donnée en 2012, les enquêteurs ont été chargé de retranscrire eux-mêmes les réponses des individus sur le questionnaire. Ce dernier a été traduit de l'anglais vers le hindi et le marathi (langue de l'état du Maharastra) et les enquêteurs ont généralement rédigé les réponses dans ces langues. Par la suite, une traduction des questionnaires remplis a été effectuée vers l'anglais. Enfin, deux personnes ont été embauchées pour procéder à la saisie informatique des traductions.
Mémoires des crises en Amérique du Sud
Les moments de vulnérabilité dans la mémoire historique à partir dans la perspective du parcours de vie, en Argentine, au Chili et en Uruguay.
Ce projet fait partie de la recherche CEVI, et il utilise les données récoltées dans le cadre de cette recherche dans trois pays sud-américaines. Elles ont été récoltées dans la ville de Buenos Aires (Argentine) en 2009, dans la ville de Conception (Chili) en 2010, et à Montevideo (Uruguay) en 2012. Cette recherche considère plus de 2600 questionnaires.
Ces trois pays de l’Amérique Latine, avec des caractéristiques socio-culturelles similaires, ne partagent pas seulement un tissu social caractérisé pour les migrations, mais aussi la dimension tragique de leur histoire récente. La mémoire subjective sur cette histoire récente est au cœur de ce projet, dont la perspective générale de recherche est l’approche du parcours de vie.
Ce projet s’intéresse au concept de mémoire historique, mais à partir d’un approche qui identifie l’expérience collective à partir du point de vue subjectif des individus qui ont vécu l’histoire récente de ces pays. Le concept de crise est central pour conceptualiser / opérationnaliser les moments historiques de basculement où la vulnérabilité se grave dans la mémoire aux niveaux individuel et collectif. Est aussi pris en considération le concept de «génération» pour comprendre l’ancrage vital des événements vécus.
Les avancées de la recherche nous permettent déjà d’établir certains constats préliminaires :
- Le souvenir des changements socio-historiques (CSH) nationaux est une constante dans les trois pays Sud-Américaines, dont la mémoire est moins internationale qu’en Europe.
- Les CSH de crise ont une place centrale dans la mémoire historique subjective des individus des trois pays considérés.
- Les dictatures se présentent comme un CSH que frappe la mémoire dans les trois pays pour la plupart des groupes d’âge considérés. Les crises économiques de 2001-2002 marquent fortement la mémoire récente de l’Argentine et Uruguay, alors que le souvenir des catastrophes naturelles est caractéristique des groupes d’âges les plus anciens au Chili.
- Les raisons avancées pour mentionner ces CSH de crise varient selon l’événement considéré, ainsi que l’âge auquel il a été vécu par l’individu. Cependant, les mentions sont argumentées principalement à partir d’une expérience qui a affecté directement l’individu dans sa vie quotidienne.
- Le souvenir des «grands» CSH comme les dictatures indique l’existence de mémoires historiques générationnelles, car ces régimes ont bouleversé la base de la vie quotidienne des individus au-delà des différences d’âge.
Ce projet de recherche est mené par le sociologue Eduardo Guichard dans le cadre de sa thèse de doctorat, et il est soutenu et supervisé dans sa recherche pour les professeurs Christian Lalive d’Epinay (UNIGE) et Michel Oris (UNIGE/CIGEV).