Recherches terminées

Les inégalités face à la mort en Suisse

Activités dans le cadre du PNR LIVES et de la Swiss National Cohort

Si la durée moyenne de vie n'a cessé d'augmenter à travers les siècles, les inégalités socio-économiques ne peuvent être négligées. Identifier les avantages ou désavantages individuels en termes de survie relève non seulement d'un enjeu d'équité sociale mais constitue également un aspect essentiel dans l'élaboration de politiques de prévoyance sociale. Cependant, les sources de données disponibles pour l'analyse de la mortalité différentielle en Suisse ne fournissent aucune information quant au statut socioéconomique des défunts et ne permettent pas l'analyse des différentiels entre individus.

Nos activités, dans le cadre d’un projet FNS puis désormais du PNR LIVES et de la Swiss National Cohort, ont eu pour but de pallier cette déficience en couplant, au moyen d'une technique probabiliste, les informations socioéconomiques sur les individus recensés en 1990 et 2000 aux données contenues dans la statistique des décès entre 1991 et 2004, afin d'analyser les écarts de survie entre sous-groupes de la population en Suisse. La création d'une base de données liant les informations relatifs à plus de 800'000 décès aux individus recensés en 1990 ou 2000 a permis d'effectuer des analyses la mortalité au niveau individuel. Puisque les Institut für Sozial- und Präventivmedizin des Universités de Berne et Zürich ont effectué en parallèle le même appariement dans le cadre de la Swiss National Cohort, nous avons rejoint cette plateforme de recherche longitudinale de la mortalité en Suisse, qui vient d’obtenir le prolongement de son financement jusqu’en 2014!

Nous avons établi dans nos analyses l'importance de différentes ressources individuelles dans l'allongement de la vie et analysé la manière dont elles interagissent avec le contexte social et culturel. Reto Schumacher et Michel Oris se sont intéressés à l'évolution séculaire des différentiels socioéconomiques de mortalité du 17e siècle à nos jours en s'appuyant sur le cas spécifique de la ville de Genève. Ils ont montré que les élites ont toujours maintenu une position privilégiée face à la mort, mais que les inégalités ont reculé au fil des siècles. Si cette homogénéisation des durées de vie est en partie expliquée par l'évolution de la structure par âge de la mortalité, tant les différentiels de mortalité chez les enfants de moins de 5 ans aux 18e et 19e siècles que ceux entre personnes âgées aujourd'hui se sont réduits.

La thèse de Yannick Forney a comblé l'absence d'information sur les inégalités socioprofessionnelles en termes de survie aux âges d'activité économique et offre une discussion détaillée de la définition statistique des classes socioprofessionnelles en Suisse. Ses analyses ont confirmé le gradient observé en Europe: les risques de décéder sont moindres pour les professions libérales, les dirigeants et les cadres comparés aux ouvriers manuels qualifiés ou non, et surtout en comparaison avec les personnes sans emploi qui restent les plus fragiles à ces âges.

Reto Schumacher et Sarah Vilpert se sont intéressés aux différentiels de genre dans les disparités de survie en fonction du statut matrimonial et du niveau de formation. Ils ont montré que non seulement le mariage, mais dans une moindre mesure aussi le concubinage, est une des principales caractéristiques protectrices face à la mort. Si l'importance du niveau de formation pour une longue vie a été démontrée par les épidémiologistes de Berne et Zürich, Schumacher et Vilpert ont montré que cette caractéristique socioéconomique est davantage associée à une durée de vie plus longue chez les hommes que chez les femmes. Ainsi l'adoption d'un style de vie sain associé aux compétences que procure l'éducation serait davantage déterminant chez les hommes.

Mathias Lerch, Michel Oris, Philippe Wanner et Yannick Forney ont analysé l'importance de l'appartenance religieuse pour la survie. Dans un contexte suisse de plus en plus multiculturel, la religion est en effet susceptible de déterminer progressivement les différentiels de survie dans le futur. L'équipe a aussi confirmé l'existence d'un gradient de la mortalité en fonction du degré de religiosité des différents groupes d'appartenance, tel qu'observé aux États-Unis. Si les chrétiens non affiliés à l'église protestante réformée ou catholique romaine vivent le plus longtemps, les individus sans affiliation religieuse décèdent aux âges les plus précoces. Ainsi un style de vie plus contrôlé et l'intégration sociale dans une forte communauté de croyants protégeraient les membres des églises chrétiennes minoritaires face à la mort.

Finalement, Michel Oris et Mathias Lerch ont mis en évidence la concentration des décès aux âges de plus en plus avancés dans le Bassin lémanique. Si les personnes âgées les plus formées sont davantage protégés face à la mort, les auteurs ont remarqué un renversement du gradient de mortalité au quatrième âge (au-dessus de 80 ans) avec une plus faible mortalité des individus peu formés. Ils l'expliquent par des phénomènes de sélection aux âges plus jeunes. Les auteurs projettent d'approfondir et d'étendre cette analyse à l'ensemble de la Suisse et de mettre en évidence la manière dont les différentiels socioéconomiques de mortalité générale ainsi que par cause de décès influencent l'évolution de la rectangularisation de la courbe de survie en Suisse.