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Les émotions à l'âge avancé: entre opportunité et contrainte

L’étude des émotions à l’âge avancé présente un paradoxe. D’une part, il existe des arguments théoriques et empiriques indiquant que l’âge avancé apporte sagesse et sérénité dans la vie émotionnelle. D’autre part, il a été démontré que la régulation des émotions se détériore alors que les fonctions cognitives et l’état de santé déclinent. Au cours de ma présentation, je résumerai un projet de recherche abordant ce paradoxe qui, selon moi, pourrait refléter les effets différents de l’âge sur les émotions positives et négatives. Le déclin du fonctionnement cognitif à l’âge avancé a été largement démontré, et l’effet des émotions pourrait s’expliquer par une activation émotionnelle plus facilement déclenchée qu’à une autre période de la vie adulte. Les conséquences de cette activation dépendent toutefois du degré d’arousal et de valence inhérents à cette activation. Si les émotions activées sont positives et peu intenses, les effets peuvent être positifs et conduire à une amélioration du processus d’intégration entre émotion et cognition – une souplesse souvent associée à l’âge avancé. Nous avons conduit plusieurs séries d’études qui ont par exemple montré que les individus plus âgés étaient plus enclins à interpréter des histoires dans une perspective émotionnelle et symbolique plutôt que d’un point de vue factuel et littéral. Par ailleurs, lorsque leur intérêt spécifique est pris en compte, leurs capacités mnésique et de raisonnement peuvent égaler, voire dépasser celles des adultes plus jeunes. En revanche, si la stimulation est principalement négative et particulièrement intense et stressante, les émotions deviennent alors difficiles à réguler ou à supprimer. Aussi, avec l’avancée en âge et/ou le déclin croissant, les émotions négatives viennent plus largement perturber les performances cognitives chez les personnes âgées que chez les adultes plus jeunes – un stress important et prolongé a même été mis en relation avec des atteintes cérébrales. Ces conséquences négatives interviennent particulièrement si les individus connaissent déjà des conditions d’existence qui rendent la régulation des émotions problématique – telles qu’un déclin cognitif prononcé ou des problèmes comme la dépression, l’anxiété ou un très faible niveau d’engagement dans les relations sociales.

Beaucoup de personnes âgées tentent de compenser cette situation en redoublant de concentration ou en évitant les situations susceptibles d’évoquer des émotions négatives. Les possibilités de compensation peuvent également provenir des conditions sociales qui protègent les individus vieillissant de stimulations trop fortes. Toutefois, alors que les émotions facilement activées semblent constituer un avantage à l’âge avancé lorsque celles-ci sont positives, la capacité réduite à supprimer ou inhiber les émotions négatives représentent quant à elle un risque mental et physique qui augmente avec l’âge.

Gisela Labouvie-Vief
Section de psychologie, FPSE
Université de Genève