«La vulnérabilité n'est pas un état figé»
Rapport suisse sur le vieillissement en bonne santé
Cet article est une traduction de “Vulnerability is not a fixed state”: Swiss report on healthy aging, publié sur le site de l'Université de Copenhague.
Personnes âgées · Depuis la pandémie de COVID-19, 13 % des personnes déclarent que leur état de santé s'est dégradé, en particulier les personnes âgées de 75 ans et plus. Les problèmes de santé mentale touchent 10 % des hommes âgés et 17 % des femmes âgées. En Suisse, l'enquête révèle que le fait de vieillir, même dans un pays où le niveau de vie est élevé et où les systèmes de soutien social sont solides, ne protège pas les personnes contre les problèmes de santé mentale et cognitive. Des facteurs tels que le vieillissement, le stress, l'isolement social et l'inégalité financière peuvent tous jouer un rôle dans la vulnérabilité des personnes. Face à toutes ces complexités, comment promouvoir un «vieillissement en bonne santé»?
Un récent rapport d'ADVANCE en Suisse explore les facteurs contribuant à la détresse mentale chez les personnes âgées et la stigmatisation qui l'entoure.
La santé mentale des personnes âgées ne se résume pas à l'absence de troubles, mais aussi à la résilience émotionnelle et à la capacité de faire face aux défis de la vie.
— Rapport ADVANCE, Suisse
«Le stress mental affecte les personnes âgées de diverses manières. Nous avons identifié deux voies principales: il y a un facteur affectant la santé mentale des personnes âgées qui conduit à l'isolement social – être seul, se sentir seul, être dans le réseau, être seul. L'autre est le fonctionnement cognitif qui commence à développer des problèmes cognitifs et qui est associé à la santé mentale dans différents domaines du fonctionnement cognitif», explique Melanie Mack, chercheuse postdoctorale au Centre interfacultaire de gérontologie et d'études des vulnérabilités (CIGEV) de l'Université de Genève.
Mack explique que ces deux domaines interagissent. Cela signifie que le stress a un impact sur les fonctions cognitives et que le fait de constater un déclin des capacités mentales peut augmenter encore le stress.
La Suisse compte environ 156'900 personnes atteintes de démence et un nombre alarmant de 33'000 nouveaux cas chaque année. Ce chiffre pourrait doubler au cours des 30 prochaines années si nous ne faisons rien. L'interaction entre les problèmes de santé mentale, la dépression et le stress, d'une part, et le déclin cognitif, d'autre part, en particulier dans les groupes socio-économiquement vulnérables, ne menace pas seulement le bien-être au fur et à mesure que nous vieillissons, mais entraîne également des coûts de santé considérables.
La vulnérabilité des personnes âgées en Suisse
La vulnérabilité des personnes âgées fait principalement référence à la susceptibilité accrue au déclin mental et cognitif, ce qui représente un défi important pour les systèmes de santé et les décideurs politiques.
La vulnérabilité n'est pas un état fixe. Il s'agit plutôt d'un gradient qui peut changer. Par exemple, si votre partenaire décède, vous êtes probablement plus vulnérable. Si votre famille se rapproche, ou si vous rejoignez un nouveau cercle social, vous pouvez devenir moins vulnérable.
— Melanie Mack
Les personnes âgées en Suisse constituent un groupe très diversifié, et leurs résultats en matière de santé varient en fonction de facteurs tels que l'éducation, le revenu, le sexe et le statut migratoire. Ces différences peuvent accroître la vulnérabilité de certains groupes. Si les personnes âgées sont généralement considérées comme une population vulnérable, certaines d'entre elles sont confrontées à des défis supplémentaires.
L'équipe de Mack a identifié certaines vulnérabilités. Par exemple, les personnes fragiles, à mobilité réduite ou souffrant de douleurs chroniques courent un risque plus élevé de complications de santé. D'autres peuvent être confrontées à une perte d'audition liée à l'âge, à la peur de tomber ou à la gestion de plusieurs médicaments. Les difficultés émotionnelles, telles qu'un deuil prolongé après la perte d'un partenaire, peuvent également avoir de graves répercussions sur la santé mentale et physique.
«La vulnérabilité chez les aîné·es peut être appréhendée dans trois domaines clés», explique M. Mack. «Premièrement, le fonctionnement cognitif, où les pertes liées à l'âge peuvent aller de changements normaux à des conditions telles que la démence. Deuxièmement, la santé physique, qui comprend des risques tels qu'une diminution de la force, des limitations de la mobilité et des maladies chroniques comme la perte d'audition ou la douleur. Enfin, la santé mentale est une dimension cruciale, avec des risques tels qu'un deuil prolongé, en particulier après la perte d'un partenaire, ainsi que la solitude. Lorsque ces domaines clés se dégradent, la susceptibilité au déclin mental et cognitif augmente».
Stigmatisation
Le processus de vieillissement s'accompagne souvent d'opinions négatives selon lesquelles les personnes âgées sont perçues comme dépendantes, coûteuses, inactives et comme un fardeau pour la société. Ces discriminations et stéréotypes liés à l'âge, connus sous le nom d'«âgisme», sont présents dans divers domaines de la société, en particulier sur le lieu de travail et dans le secteur des soins de santé.
Mack est consciente de ce problème. «L'âgisme est un gros problème en Suisse. Les personnes âgées se sentent souvent stigmatisées en raison de leur âge. Cela peut être intériorisé, de sorte qu'elles pensent qu'elles ne sont pas aussi capables que les adultes plus jeunes. Par exemple, les personnes âgées sont considérées comme moins capables de travailler au même niveau que les jeunes ou comme ayant plus de difficultés avec la technologie, etc. Cette stigmatisation peut également venir de l'extérieur. Par exemple, lorsque les médecins traitent les personnes âgées comme des enfants.
Malheureusement, il n'est pas rare que les patients âgés se sentent traitées avec condescendance par les professionnels de la santé. Cela peut se manifester de manière subtile, par exemple lorsque les médecins utilisent le «langage des aîné·es», c'est-à-dire qu'ils parlent lentement, utilisent un langage trop simple ou adoptent un ton condescendant, comme ils le feraient avec un enfant. Parfois, le personnel médical passe trop rapidement sur les explications ou les omet complètement, et donne des médicaments sans détailler clairement pourquoi ils sont nécessaires ou quels en sont les risques et les avantages potentiels. Dans d'autres cas, les patient·es âgé·es peuvent se sentir invisibles, car les médecins adressent les questions et les informations aux membres plus jeunes de la famille au lieu de s'adresser directement aux personnes concernées. Ces expériences peuvent donner aux personnes âgées le sentiment qu'on leur manque de respect et qu'elles sont négligées dans les décisions concernant leur propre santé.
«Nous traitons ici des deux aspects, mais bien sûr, la stigmatisation intériorisée de l'âge provient souvent des attitudes de la société», ajoute Mack en expliquant que la peur d'être stigmatisé·e par les autres empêche également les personnes âgées de profiter des interventions en matière de santé mentale.
Que peut-on faire?
Mack souligne que la prise en compte de ces vulnérabilités et de la stigmatisation nécessite une approche holistique qui tienne compte des circonstances et des besoins uniques des personnes âgées.
En Suisse, ADVANCE mène une étude pour tester deux programmes visant à améliorer la santé mentale et le fonctionnement cognitif des personnes âgées en Suisse: Self Help Plus (SH+) pour la gestion du stress, et l'entraînement de la mémoire (COG).
Self-Help Plus (SH+)
SH+ est une intervention psychosociale à bas seuil qui consiste en un cours audio préenregistré et un livre d'auto-assistance adapté à la culture. Une étude antérieure a examiné l'efficacité de l'intervention du SH+ de l'OMS pour la prévention des troubles mentaux. Les résultats ont montré que SH+ réduisait de manière significative l'incidence des troubles mentaux tels que le TSPT, la dépression et l'anxiété immédiatement après l'intervention.
«Nous nous intéresserons à deux facteurs. L'un concerne la santé mentale, l'autre le fonctionnement cognitif. C'est important parce que ces deux défis dépendent l'un de l'autre. Par exemple, les personnes qui sont plus isolées, qui se sentent plus seules, ont souvent des fonctions cognitives plus faibles. Il s'agit donc d'un effort intégré et nous essayons de cibler les deux en même temps. C'est pourquoi nous développons et évaluons une intervention qui combine l'entraînement cognitif et l'entraînement à la gestion du stress», explique Mack.
Le fonctionnement cognitif et la santé mentale sont étroitement liés. En ciblant les deux, l'équipe de Mack espère donc améliorer ces aspects de manière plus efficace.
En fait, c'est notre principal objectif: améliorer la résilience et la santé cognitive. Nous pensons que l'intervention combinée donnera de meilleurs résultats en termes de fonctionnement cognitif et de santé mentale que les composantes individuelles.
— Melanie Mack
Entraînement cognitif (COG)
L'entraînement cognitif comprend diverses activités visant à maintenir, voire à améliorer, le fonctionnement cognitif. L'entraînement peut inclure des exercices visant spécifiquement à améliorer certaines aptitudes cognitives.
En outre, il peut s'agir d'apprendre à prendre conscience de certains schémas de pensée et de développer des stratégies pour les gérer efficacement et faire face aux défis cognitifs rencontrés dans la vie quotidienne.
SH+ n'a pas encore été testé en Suisse auprès de personnes âgées sans antécédents migratoires et la combinaison de la gestion du stress et de l'entraînement de la mémoire n'a pas encore été étudiée en détail. L'étude vise à déterminer si la combinaison des deux programmes est plus efficace que chacun d'entre eux pris isolément.
«Nous essaierons de le faire dans l'ensemble de la société suisse. Nous essaierons de recruter des échantillons représentatifs afin de voir comment des personnes de statuts socio-économiques différents réagissent à ces interventions. Nous les comparerons également à la formation cognitive seule ou à la formation à la gestion du stress en santé mentale seule, afin de voir si la combinaison est meilleure que l'une des autres options. Enfin, en concevant une intervention qui peut être répétée plus largement et en réalisant une évaluation des coûts, nous visons à fournir quelque chose qui peut vraiment être utilisé à grande échelle par la société», déclare Mack.
En outre, l'équipe ADVANCE de l'UNIGE estime qu'il est important de concevoir les programmes de manière à ce que le groupe le plus large et le plus diversifié de personnes âgées puisse en bénéficier. C'est pourquoi l'équipe a mis en place un Society Advisory Group (SAG, groupe consultatif de la société) qui fournit un retour d'information sur l'étude et l'intervention prévue.
«Notre SAG est un groupe diversifié de parties prenantes. Nous avons des professionnels de la santé, des experts en gérontologie, des personnes travaillant dans les soins infirmiers, d'autres dans des centres de recherche, et des personnes impliquées dans des associations. Nous avons également des personnes qui sont directement impliquées avec les personnes âgées, et bien sûr des personnes âgées elles-mêmes. Il est très utile de disposer de ce groupe diversifié, car il peut fournir un retour d'informations sur les besoins des personnes âgées et indiquer si notre intervention est bien conçue pour ce groupe démographique. Par exemple, les personnes âgées peuvent donner leur avis sur ce qui est pertinent pour elles, tandis que d'autres experts peuvent identifier des lacunes ou des besoins qui ne sont pas forcément évidents», explique Mack lorsqu'on lui demande comment cette intervention pour les personnes âgées en Suisse est co-créée.
Un essai pilote de cette étude débutera en avril 2025 et sera suivi d'essais cliniques de l'automne 2025 à 2026.
27 mars 2025Actualités