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Les projets de fécondité: souhaits et réalités

Le débat international sur les questions de population a connu un virage majeur au cours des années 1990 en passant d’une approche centrée sur les tendances démographiques à des analyses des comportements et des trajectoires: des enjeux liés au niveau de fécondité et à la gestion des nombres des humains, les préoccupations des démographes se sont orientées vers les projets familiaux individuels et les motivations qui y sont associées. Par la disponibilité de données sur les souhaits d’enfants dans les grandes enquêtes démographiques, la notion de projet de fécondité s’est répandue comme un outil essentiel pour établir les scénarios de projections démographiques et fixer les priorités des politiques familiales et de population. Les écarts observés entre le nombre souhaité d’enfants et la descendance atteinte sont interprétés en termes d’obstacles à la réalisation du projet fécond. C’est ainsi que l’on estime que, dans les pays occidentaux où, généralement, le nombre souhaité d’enfants est supérieur au projet réalisé, la fécondité devrait remonter si l’on lève les obstacles qui l'empêchent. Le débat sur les politiques d‘encouragement à la fécondité met maintenant l'accent sur les mesures permettant une meilleure compatibilité entre les aspirations familiales et professionnelles, problème identifié comme la contrainte principale. Dans les pays du sud à forte fécondité, au contraire, la taille de la famille est le plus souvent supérieure au nombre d’enfants souhaités. Cet écart serait la conséquence de besoins non satisfaits en contraception. On peut néanmoins se poser la question de la pertinence de la notion même de projet fécond (les individus et les couples font-ils véritablement des projets en matière de fécondité?) et donc de la validité de la thèse selon laquelle il suffit de mettre en place les politiques qui permettront de lever les obstacles.

Dans cette contribution, nous commençons par faire un bilan sur les tendances actuelles en matière de fécondité réelle et souhaitée dans une série de pays à fécondité particulièrement basse et à fécondité qui reste très élevée, ainsi que les hypothèses retenues par les spécialistes des projections démographiques en matière d’évolutions à attendre. Nous discutons ensuite de la rationalité du projet d’enfant. Nous posons un double postulat. D’une part, la relation à l’enfant et au futur enfant reposerait sur une ambivalence fondamentale entre les attentes sociales et les aspirations individuelles que les individus peuvent plus ou moins résoudre selon leurs ressources individuelles. D’autre part, le projet d'enfant ne serait pas élaboré à priori, mais il se construit au fil des expériences de l’existence. Nous illustrons notre propos par une typologie des comportements féconds en Suisse que nous avions élaborée sur la base de l’enquête suisse sur la famille. Cette enquête réalisée fin 1995 – début 1996 reste malheureusement à ce jour, en Suisse, la seule enquête sur la fécondité au niveau national.

Claudine Sauvain-Dugerdil
Laboratoire de démographie et d’études familiales
Université de Genève